Offrande bénéfique
Denrée alimentaire ou périssable
- Type d'objet : Denrée alimentaire ou périssable
- Nom vernaculaire : Mesa
- Géographie : Amérique – Amérique du Sud – Bolivie – La Paz (département) – Ingavi (province)
- Culture : Amérique – Aymara
- Date : 20e siècle
- Matériaux et techniques : Ingrédients divers : sculpture en pierre précolombienne, peau de chat-tigre, végétaux, laines de couleur, etc.
- Dimensions et poids : 34,2 x 36 x 7 cm, 564 g
- Donateur : Louis Girault ;
- Mission : Louis Girault ; Précédente collection : Musée de l'Homme (Amérique) ;
- Exposé : Non
- Numéro d'inventaire : 71.1965.41.112
Description
Sur une pièce de tissu indigène, le "Tari" (Aymara), de couleur brune avec des rayures longitudinales rouges, sont disposées plusieurs matières. La pièce principale est une pierre de forme étrange, de couleur grise foncée. Très certainement cette pierre fut retaillée et polie dans une masse qui naturellement présentait déjà une forme bizarre. On distingue nettement une tête de forme circulaire avec deux yeux proéminents, l'ébauche de quatre pattes, et, sur la partie figurant le ventre, une espèce de cavité concave et circulaire. Le revers figurant le dos laisse dégager la tête, tout le reste étant nu et de forme convexe. (La pièce se trouvant ici est une réplique, l'authentique ayant été conservée dans les collections du Musée de Tiahuanaco). Cette pièce principale est placée au centre sur une sorte de coussin de laines et de fils de diverses couleurs. Six groupes de ces fils et de ces laines se présentent nettement = 1) fils de laine brune et café ; 2) masse de laines blanches, brune, café, vertes, roses, rouges, jaunes, orangées, avec une touffe nouée de cheveux noirs ; 3) masse de laines et de fils blancs, verts, roses, rouges, violets, jaunes, orangés ; 4) masse de laines jaunes, orangées, violettes ; 5) masse de laines et de fils café, bruns, rouges et verts ; 6) fils de laine café et bruns. A côté de ces laines se trouvent : de "l'incienso" parsemé, Clusia sp (Guttifères) - de "l'incienso" enveloppé dans un petit sachet de papier - un clou, d'usage courant, usé, rouillé, tordu à la pointe et orné d'un morceau de fil de fer torsadé autour - quelques graines de "Yanali" (Aymara-quechua), Bocconia sp (Papaveracées) - trois petites boules de bronze, Liwis (Aymara), espèces de "boladeras" à moitié dissimulées dans un amas de laine - une petite statuette de pierre très fine, de fabrication moderne, représentant une statue monolithe de Tiahuanaco, "El Fraile" - la tête d'un animal disséqué, un chat-tigre, "Titi misi" (Aymara), dont l'intérieur à l'endroit du cou est bourré d'un morceau de chiffon brun - deux pattes disséquées du même chat-tigre - deux brindilles liées ensemble par du fil de laine grêge et noir. Par dessus le tout, de ci de là, des confettis et des serpentins de papier. Dimensions de la pièce principale, pierre : 10 cms de long - 8 cms de large. Dimensions de la petite statuette : 5 cms de long ; Dimensions de la pièce de tissu : 35 cms de long - 33 cms de large.
Usage
Cette sorte d'offrande se trouvait dans un pot de terre cuite, entreposé dans le local où s'accumulaient les produits agricoles, surtout des pommes de terre. La propriétaire, une vieille indienne Aymara, consentit facilement à s'en défaire, expliquant que "depuis quelque temps cela ne lui avait attiré que de la malchance". Mais à part cette réponse laconique à mes questions, aucun autre renseignement ne put en être tiré. La pierre de forme zoomorphe, est connue actuellement chez les Aymara sous le nom de "sapo"(crapaud) et parfois de "Papa"(Aymara-quechua). Incontestablement il s'agit là d'une pièce précolombienne, qui, en des temps anciens eut peut être la valeur d'un "Khonopa" (Quechua) , sorte de génie tutélaire, ou Dieu pénate très en honneur aussi bien chez les Aymara que chez les Quechua. De nos jours, peut-être du fait de sa rareté, ce genre d'objet jouit d'une grande valeur magique chez les paysans Aymara. Ils lui accordent un grand pouvoir bénéfique et protecteur pour tout ce qui concerne la terre et ses produits, et de plus, un symbole de fécondité lui est attaché, directement relié avec la pluie. Entre autre rites, ce "sapo" est utilisé lors de rites spécifiques à la saison des pluies. Lorsque celles-ci sont proches, que les semailles furent faites, mais qu'elles ne se sont pas encore manifestées, les paysans font appel à l'un d'eux possédant un "sapo". Celui-ci en compagnie du propriétaire du terrain se rend sur l'un des champs récemment ensemencés, et place le "sapo" dans son centre. Il commence par faire la "Challa" (Aymara) en versant quelques gouttes de vin rouge et d'alcool blanc dans la cavité ventrale du "sapo" ; puis il est imité par les autres personnes présentes. Ce rite étant fait pour que la Déesse de la Terre, Pachamama (Aymara-quechua) et les esprits des ancêtres, Achachilas (Aymara) soient satisfaits et favorables à la demande qui leur sera faite. Le propriétaire du "sapo" verse alors quelques gouttes d'eau dans la cavité ventrale le retourne le dos en l'air, reverse quelques gouttes d'eau sur celui-ci, et le laisse quelques instants le ventre sur le sol, en disant "le crapaud va pondre ses oeufs". Puis l'objet est repris, et tout le monde est certain que la pluie bienfaisante ne tardera pas à tomber. Ce rituel peut aussi s'accomplir dans le local où sont entreposées les dernières récoltes, afin d'en assurer leur bonne conservation. La présence de ce "sapo" dans le dépôt de produits agricoles tendrait à prouver qu'il était là en tant qu'objet magique pour la bonne conservation de ces produits. Tous les autres ingrédients peuvent être considérés comme des offrandes accompagnant le crapaud. La signification des laines de couleurs ne fait aucun doute quant à sa valeur en tant qu'offrandes à Pachamama et aux Achachilas. Il subsite toutefois un doute en ce qui concerne celles de couleurs brunes, que généralement l'indien considère comme maléfiques. "L'incienso" et les graines de Yanali sont aussi très fréquentes en tant qu'offrandes aux divinités autochtones, inclues dans beaucoup de "mesas". La tête préparée du Chat-tigre, et très vraisemblablement les pattes, sont des offrandes caractéristiques dans les "mesas" d'importance. Quant aux serpentins et confettis, leurs usages sont très fréquents dans le rituel indien, soit pour les "mesas", soit pour les fêtes de Carnaval, où ils sont répandus dans les champs mêmes. La présence du petit monolithe, du clou et des ramilles liées par des fils, ainsi que les trois boules Liwis, échappe, mais il est très vraisemblable qu'elle joue aussi un rôle d'offrande. En usage chez les indiens Aymara, mais semblant toutefois assez rare. Il est bien difficile de dire si cet usage de telles offrandes, surtout celle du "sapo", sont étendues à tout l'Altiplano.