Bambou gravé
Objet
- Classification : Objet
- Géographie : Océanie – Mélanésie – Nouvelle-Calédonie
- Culture : Océanie – Kanak
- Date : Fin du 19e siècle ou début du 20e siècle.
- Matériaux et techniques : Bambou
- Dimensions et poids : 61,5 x 5,5 x 5,5 cm, 253 g
- Donateur : Henry Reichlen ;
- Précédente collection : Musée de l'Homme (Océanie) ;
- Exposé : Non
- Numéro d'inventaire : 71.1946.36.1
Description
Ce bambou a quatre nœuds, et trois entre-nœuds ; il est ouvert à une extrémité. Les registres s'étendent chacun sur l'espace d'un entre-nœud.Premier registre : Neuf indigènes, la massue en bec d'oiseau sur l'épaule, les cheveux relevés par le bandeau frontal, portent au bras un balassor blanc. Leur corps a la forme d'un rectangle recouvert de dessins géométriques ayant la forme de triangles. Le triangle très large du bas du tronc indique le sexe enveloppé dans un sachet et remonté à la ceinture. Le visage est carré lui aussi ; le nez est très large, et les oreilles très longues. La forme pliée des jambes marque que ces hommes marchent : ils viennent, le balassor blanc au bras et c'est une marque de deuil : ils viennent à l'enterrement. Un très petit homme entre le premier et le neuvième indigène, et un autre inachevé entre les deux suivants, indiquent le grand nombre des arrivants. D'autres petits dessins étrangers à la scène tels une flèche (et autres), semblent postérieurs aux dessins de ce bambou. Derrière cette première rangée d'indigènes se tient une autre rangée : ceux-ci portent l'aigrette, le turban ; ils gardent le balassor blanc au bras et la massue en bec d'oiseau sur l'épaule. Le visage reste carré ; mais le contour du menton a été dessiné à l'intérieur de ce carré ; le nez demeure large et les oreilles gardent la même facture. Les dessins qui recouvrent les corps sont différents de ceux de la rangée précédente. Quadrillé ou orné de chevrons, le corps n'est plus partagé qu'en deux parties, alors que le tronc de ceux de la rangée précédente était scindé en trois. Ces hommes marchent, car leurs jambes sont pliées. Ceux qui viennent ensuite, après les huit précédents, sont un nombre de cinq ; ils sont plus petits ; leurs troncs sont striés ; ils sont coiffés du turban et de l'aigrette ; portent le balassor au bras et la même massue en bec d'oiseau sur l'épaule. Au-dessus d'eux, six hommes, plus grands, ont le turban, l'aigrette, le balassor, la massue en bec d'oiseau, le visage carré dans lequel le menton a été tracé. Ils marchent. Leurs troncs portent des dessins géométriques soit en forme de quadrillage, soit en forme de triangles formés de très nombreuses petites lignes parallèles, soit de chevrons ; ce tronc est généralement partagé en deux parties à l'endroit de leur ceinture. Enfin, la dernière rangée de neuf hommes, plus petits que les précédents, représentent toujours des indigènes venant à un deuil, avec leur massue sur l'épaule, leur turban à aigrette, et leur balassor au bras. Ils ont le visage carré ; quelques-uns portent une bande frontale ; ils ont une aigrette dans la coiffure ; au-dessus d'eux et pour terminer la bande, on trouve une frise formée de chevrons striés alternant avec des chevrons clairs et disposés horizontalement. Deuxième registre :Le registre précèdent marquait l'arrivée des utérins et des invités au deuil, ainsi que l'indique la ligne brisée qui se trouve au bas du premier registre et qui est le symbole du message reçu. Ce second registre est le village du mort, celui qui reçoit les arrivants. Il est aussi la venue de ceux du village autour du mort, pour la célébration des funérailles (accumulation de la nourriture, préparation du pilou, etc.). Huit indigènes forment la première rangée du bas de ce registre : coiffés tous du turban et de l'aigrette, les oreilles plus longues que ceux du registre précédent, (trois ont les oreilles largement fendues ou trouées, ce qui est un signe de leur âge)...
Usage
Les hommes des clans voisins, appelés par un message (ligne brisée au bas du premier registre), tatoués et parés de la hache canaque (à bec d'oiseau ou de forme phallique) viennent au "pilou" de mort avec un balassor blanc au poignet. Quelques uns ont un turban, une aigrette, des oreilles très développées. Le mort, près du deuilleur et de sa femme, à peine dessiné, est l'homme sans regard, sans bras, le double qui s'en va dans l'au-delà. Il tourne le dos à tous, et il est accompagné de deux tortues-hommes qui marquent cet ultime passage dans l'autre monde. Le registre géométrique est d'un symbolisme assez compréhensible. Côte à côte voisinent les lignes de vie multiples, des lignes symbolisant l'ancêtre, la puissance du clan, et un tatouage de guerre. Dans ce "pilou" de deuil (ou plutôt de fin de deuil, car le mort s'en va déjà dans l'au-delà), "pilou" où les paternels et les maternels voisinent (vie et clan) le Kanak sentira en lui une exaltation qu'il traduit par cette image figurant une multiplication de la vie clanique.Ce bambou est un bambou autochtone calédonien. D'autres bambous sont en bambou de Ceylan (introduit dans l'île par les Européens) qui supplante aujourd'hui le bambou autochtone. Il est plus gros, moins solide, à grain noir, serré. A l'usage, il ne présente pas le vernis "sui generis" du bambou autochtone.Le bambou gravé est aussi appelé "canne de voyage", parce que le Kanak l'emporte pour ses voyages. Il sert à trois fins principales :- Ces gravures sont un mémorial d'incidents fameux.- L'intérieur sert d'étui où l'on enferme des herbes magiques.- Le bambou lui-même, secoué en cadence sur le sol, résonne et sert soit à rythmer une danse religieuse, soit à écarter les esprits.Ces bambous présentent un grand intérêt parce que des plus anciens aux plus récents, on peut suivre l'évolution du mode de représentation kanak au contact avec les occidentaux.